PLAINTES DE PÉNÉLOPE
Oú vas-tu? Que dis-tu? Est-ce que j'entends bien?
Tu t'en vas? Mais pourquoi? Au pays nubien?
Mais qu'y a-t-il là-bas? Mais voici ta maison,
Voici ta chère femme et voici l'horizon
Que tu as tant cherché de si longues années
Or, tu m'abandonnes et l'île où tu es né.
Tu retournes là-bas, tu reviens sur tes pas.
Tourne-toi, parle-moi, ton dos ne répond pas.
Va! Rien ne te plaît, ni chevaux qui galopent
Ni aigles qui volent, ni, hélas, Pénélope!
J'aurais dû m'en aller vers l'îlot delphien
Au lieu de rester, enterrant ton chien.
Dis-moi si j'avais cru que toi, comme Pyrame,
Étais mort, aurais-tu tenu ainsi ta rame?
Mais rappelle-toi que tu as été farouche
Lorsque je t'ai testé en parlant de la souche!
Tu aurais dû partir au lieu de ces veilles
Avec moi; maintenant je suis ridée et vieille.
Personne ne me veut, personne ne désire
Cette femme et ma peau qui ressemble à la cire.
Je souhaite maintenant que tu n'eusses jamais
Revu ce pauvre îlot, je jure désormais
D'écouter les flatteurs, d'aimer les soupirants
D'oublier ma toile, le tissu conspirant
Et le fils élevé sans qu'il te connaisse.
Or, mon dos est courbé, ma pauvre tête baisse,
Personne ne me dit, <<Hé bien, comment vas-tu?>>
Aucune tendresse, que jadis ils ont eue,
N'existe plus pour moi. Maintenant je côtoie
Une grande folie car on ne me tutoie
Plus. Et mes yeux remplis de larmes qui chatoient
Veulent le grand retour des hommes qui festoient
Dans ta propre maison, qui m'auraient dégourdie.
Mais allez, si tu veux, si ton coeur te le dit.
Oublie ta chère femme et ton propre pays
Car les dieux et les cieux doivent être obéis.
Ils ont leur voeux auxquels m'opposer, moi, je n'ose.
Je ne te chercherai plus jamais à nuit close.
Tout sera différent, si jamais tu reviens
Et je te le promets et aussi t'en préviens
Lorsque tu reviendras, je serai déjà morte
Et tu ne verras que cette pauvre eau-forte:
Ci-gît sous la terre lisse
La femme aimée d'Ulysse.
Elle attendit qu'il revienne,
Qu'il la sauve de sa peine.
Ci-gît la reine d'Ithaque,
La mère de Télémaque,
Elle dort sous une étoile,
Créatrice de la toile.
Mais ton bateau t'attend et tes marins t'appellent
Je vois bien ton rameau, prends aussi cette pelle.
Tu en auras besoin pour creuser cette terre
En faisant un tombeau pour ta femme en enfer.